Les marchés ont raison, même face à Trump

Les montagnes russes. La métaphore est usée et abusée, et pourtant elle est pertinente lorsqu’il s’agit de repenser les 12 semaines de la deuxième administration Trump, et même la dernière semaine sur les marchés.

 Alors Donald Trump disait publiquement et en privé qu’il ne changerait pas d’avis sur les tarifs douaniers, il a fait volte-face hier et annoncé une pause de 90 jours sur la grande majorité des pays. Le message est le suivant : notre vrai ennemi no 1 est la Chine, qui subit désormais 125 % de droits de douane sur ses importations américaines. Même le secrétaire au Commerce International, Jamieson Greer, n’était pas au courant de ce changement de braquet, alors qu’il était en pleine audition devant le Congrès. Un moment gênant, qui a donné lieu aux moqueries des Démocrates.

 

Vous avez dit récession ?

 

Pourquoi Donald Trump a-t-il consenti à cette concession ? Mardi matin, il jugeait encore que « c’est un très bon moment pour acheter ! » et semblait donner l’impression que contrairement à son premier mandat, dans lequel il s’est toujours efforcé d’aller dans le sens des marchés, il ne plierait pas. Les premiers financiers et économistes ont commencé à évoquer le mot « récession » économique - objet de mon dernier post – en mesurant l’impact de tarifs douaniers aussi drastiques. D’autant que la Fed ne semblait pas prête à agir rapidement, tant que l‘économie réelle ne montrerait pas de signe de faiblesse. Puis un meeting avec Scott Bessent, son secrétaire au Trésor, Howard Lutnick son secrétaire au Commerce et Kevin Hassett, directeur du National Economic Council, à propos des Treasuries à 10 ans, ont semble-t-il achevé de le convaincre. A posteriori, ce post “wishful thunking” du Président pourrait-il être interprété comme un délit d’initiés? C’est ce que se sont déjà empressés de soulever des démocrates comme la sénatrice Elisabeth Warren.

 

Le raz-de-marée des Treasuries

 

Mais au final, ce ne sont pas les actions, mais les marchés obligataires – les Treasuries, c’est-à-dire la dette publique Américaine – qui l’a forcé à faire machine arrière. Car il s’est produit un phénomène rarissime : au lieu d’être une valeur refuge et un produit considéré comme sûr, l’obligation Américaine à 10 ans a chuté rapidement, ce qui a fait grimper le rendement - et donc le taux auquel les États-Unis empruntent au quotidien.

 

Avant même les premiers impacts des tarifs douaniers sur l’économie, les marchés ont envoyé un signal sévère au Président : les États-Unis ne sont plus les maîtres du jeu d’un ordre économique libéral, dans lequel les pays démocratiques passent des accords pour favoriser le libre-échange. Isolé, le pays n’est aussi plus une référence économique, et sa dette et sa devise ne seront plus une valeur refuge. Cela aurait des conséquences dramatiques pour le pays, qui doit financer un déficit fédéral astronomique – 1.800 milliards de dollars en 2024. Qui n’est tenable que parce que le pays est (encore)  la capitale économique du monde.

 

Les “couacs” de communication

Les communicants du Président ont commencé par déclarer que tout ceci était un plan élaboré à l’avance, destiné à identifier la Chine comme véritable adversaire économique. Las, Donald Trump s’est ensuite exprimé pour expliquer que les marchés avaient réagi de façon extrême et nerveuse (« yippy » est son mot, que je ne connais pas mais qui est apparemment emprunté au golf). S’il a coupé l’herbe sous le pied de ses proches, et donné l’impression qu’il n’écoutait personne pour prendre ses décisions, la nouvelle a en tout cas largement soulagé les marchés. Donald Trump est prêt à l’écouter si les mesures vont trop loin, et a changé son fusil d’épaule.

 

“There is only one side of the market and it is not the bull side or the bear side, but the right side” – Jesse Livermore

 

C’est une bonne nouvelle pour les opérateurs, qui montre que le Président n’est pas prêt à aller au-devant d’une crise financière comme celle de 2008 et 2020, qui n’aurait été due qu’à sa propre responsabilité. Plutôt que de braver le reste du monde et les forces invisibles des marchés financiers, il s’est trouvé un seul ennemi, la Chine. Il n’en sera que plus déterminé à sauver la face et ne pas perdre cette guerre-là.     

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