Après RBG, une révolution anti-féministe?
Ces dernières semaines, je suivais avec passion le feuilleton de TikTok US, et m’apprêtais à écrire un article sur l’enjeu de ces élections dans les relations avec la Chine. Mais tout cela est paru terriblement futile en raison d’un sombre événement : le décès de Ruth Bader Ginsburg, la deuxième femme à avoir siégé à la Cour Suprême. Née en 1933 à Brooklyn, cette fille d’immigrants juifs russes est sortie majeure de sa promotion à l’université de droit de Columbia., mais malgré de hautes recommandations , a eu le plus grand mal à être nommée comme juge fédérale parce qu’elle était une femme.
Devenue professeur de droit et juge, Ruth Bader Ginsburg n’a eu de cesse de faire progresser la cause des femmes et l’égalité de traitement dans sa carrière. Elle a ainsi fondé le Women’s Rights Project à l’ACLU (American Civil Liberties Union) et à la Cours Suprême, et a fait voter l’interdiction de la discrimination envers les femmes, dans le cadre du 14ème Amendement. Tout au long de son mandat, elle s’est illustrée comme une opposante tenace contre les injustices faites aux femmes, de l’accès à un emploi aux inégalités de rémunération. La femme du « non », la seule à pointer du doigt des situations largement acceptées à l’époque. « Les différences inhérentes entre hommes et femmes (…) sont une cause de célébration, et non de dénigrement des membres de l’autre sexe ou de contraintes artificielles sur les opportunités d’un individu », a-t-elle ainsi écrit dans les années 70. Cette figure progressiste, dans une Cour Suprême très masculine, n’a jamais mâché ses mots ni fait de compromis sur ses idées, ce qui lui a valu une très forte notoriété à la fin de sa vie. Une vraie rockstar du féminisme, produits dérivés à l’appui.
Mais après plus de 20 ans à se battre contre le cancer, elle s’est éteinte le jour de Rosha Shana, le Nouvel an juif, et à six semaines de l’élection présidentielle. Cynisme de cette année 2020, où rien ne se passera décidément comme prévu. Mais aussi illustration sordide de la cause féministe, où un pas en avant est suivi de deux pas en arrière. Car après une vie dédiée à faire avancer la cause des femmes, ce poste laissé vacant pourrait faire définitivement pencher la Cour Suprême vers les conservateurs, et remettre en cause des acquis sociaux comme le droit à l’avortement (le fameux précédent Roe vs Wade), le statut des enfants d’immigrés illégaux ou l’Affordable Care Act d’Obama. Spécificité du système américain, la Cour Suprême fédérale est celle qui tranche en dernier recours sur des sujets constitutionnels cruciaux, à la majorité des neuf juges, nommés à vie. A ce jour, elle compte quatre juges conservateurs, trois progressistes. Le Chief Justice, John Roberts, a quant à lui montré sa capacité à passer d’un côté ou de l’autre du spectre en fonction des dossiers.
Cette nomination est donc déterminante et Donald Trump a déjà indiqué qu’il allait annoncer son/sa remplaçant(e) en fin de semaine, pour une confirmation avant l’élection présidentielle. A ce jeu, la mauvaise foi des républicains atteint des sommets : en février 2016, après la mort du juge Antonin Scalia, Barack Obama avait lui aussi choisi un remplaçant, mais dont la nomination a été bloquée par le chef de la majorité républicaine, Mitch McConnell. Ce dernier avait fait valoir qu’il fallait attendre et laisser le peuple américain voter en novembre. Quatre ans plus tard, il a sans surprise retourné sa veste, et explique aujourd’hui que cette règle ne valait que lorsque le Président et le Sénat sont de différents bords politiques.
Les républicains ont donc enclenché le compte à rebours pour faire valider cette nomination en un temps record, à 43 jours de la présidentielle. La juge Amy Coney Barrett, considérée comme « pro-life » et opposée à l’Obamacare, serait pressentie comme le profil idéal. Peuvent-ils arriver à leurs fins à temps ? A ce jour, deux sénatrices républicaines (et oui, deux femmes…) se sont prononcées contre le vote d’un nouveau juge à une échéance si proche de l’élection. Il en faudrait encore deux autres pour que le vote échoue, et les intentions de trois républicains, dont Mitt Romney, ne sont pas encore connues.
Quelle que soit l’issue de ce process, la course à un nouveau juge de la Cour Suprême ne va que relancer les hostilités entre les deux partis, et au-delà entre les deux camps d’une Amérique plus divisée que jamais. Tout cela sur fond d’une pandémie qui a franchi le seuil des 200.000 morts dans le pays, ou encore d’une sortie climato-sceptique de Donald Trump face aux terribles incendies californiens…
Affaire à suivre, je vous raconte bientôt la suite de ce feuilleton. Et pour finir sur un registre plus léger : BlackRock a mis à jour sa politique des relations romantiques. Dans la foulée de #MeToo, le groupe américain avait obligé ses employés à dévoiler toute relation avec un autre employé. Il l’a récemment discrètement étendu à « toute relation personnelle avec des employés d’un fournisseur de services, vendeur, ou autre partie tierce (notamment un client), si l’employé non-BlackRock est dans un groupe qui interagit avec BlackRock ». Un peu large quand on parle du plus gros gérant d’actifs au monde, qui supervise 7.400 milliards de dollars…