Une gueule de bois nommée Breonna

Ce matin, c’est le cœur encore un peu plus lourd et la rage au ventre que l’Amérique se réveille. Une fois de plus, une fois de trop encore, les policiers impliqués dans le meurtre de Breonna Taylor ne seront pas inquiétés. Hier, le procureur de l’Etat a officialisé la décision du jury de n’inculper qu’un seul des trois agents de police (tous blancs), non pour l’avoir tué mais pour avoir « mis en danger » le voisinage de cette jeune fille, qui a été assassinée chez elle par des policiers venus faire un raid anti-drogue, à Louisville dans le Kentucky.

 

Le pire n’est jamais certain dit l’expression, mais dans le cas de l’assassinat (et non juste la mort, les mots comptent) d’une Noire par des policiers blancs, l’issue est toujours connue d’avance, et nourrit la révolte. Mais le pire vient probablement des mots du procureur général, qui pour commenter cette décision hier soir, a déclaré : « si nous agissons sur l’émotion ou de l’outrage, il n’y a pas de justice. La ‘mob justice’ n’est pas de la justice », « chercher la justice par la violence n’est pas justice. Cela devient de la vengeance ». Je ne connaissais pas cette expression de « mob justice » mais ai découvert que ce terme désignait l’humiliation, le lynchage d’une personne accusée par la foule, et que cela a eu lieu pour persécuter les Noirs dans les États du Sud à la fin du 19ème siècle. Curieuse analogie, et une sortie qui a plutôt tendance à mettre le feu aux poudres qu’à calmer le jeu, alors que la tension était déjà à son comble.

 

Car le mot « mob », qui désigne le petit peuple ou la Mafia, n’envoie qu’un seul message, celui que les Noirs américains, qui réclament simplement que justice soit faite, ne le méritent pas, en tout cas pas telle qu’elle se pratique pour les autres citoyens. Ce mot sonne comme terriblement déshumanisant, même s’il est venu d’un autre Noir. Les manifestants ulcérés, qui crient leur haine face à cette injustice quotidienne, sont encore une fois les agresseurs, les violents et non les victimes. Et le fossé se creuse de plus en plus inexorablement entre ceux qui se voient comme les parias de la société face aux gens de pouvoir.

 

« Say their names ». Depuis des mois, les manifestants scandent les noms de ces victimes de bavures policières, et rajoutent régulièrement de nouveaux. George Floyd, Daniel Prude, Breonna Taylor ne sont que les noms de 2020, il y en a eu tant d’autres tous les ans. Les Noirs américains et ceux qui les soutiennent ne font plus confiance à leur gouvernement -leur démocratie- pour leur rendre justice, et la journée d’hier n’a été qu’une confirmation de plus. La rage et la violence ont ressurgi, et quelqu’un a tiré sur deux policiers de Louisville. Rassurez-vous, il est déjà arrêté et accusé de 16 chefs d’inculpation. Comme le rappelle le New York Times, « il est douloureux de réaliser que s’agenouiller pour un hymne national a coûté sa carrière à un joueur de foot comme Colin Kaepernick, mais un officier de police qui tue une innocente jeune femme chez elle un soir ne fera face à aucune conséquence ».

Côté politique, la démocratie américaine a pris un coup de plus avec la réponse de Trump sur une éventuelle défaite. « Nous allons voir ce qui va se passer », refusant d’indiquer qu’il accepterait de laisser sa place. Ses lieutenants, Mitch McConnell en tête, ont beau promettre que la transition se ferait légalement et de façon ordonnée, les doutes sont permis.

 

Enfin, quelques nouvelles qui font un peu de bien en ce jeudi matin :

 

-       Jack Dorsey, le patron de Square et Twitter, annonce un investissement de 100 millions de dollars de sa société financière dans plusieurs fonds et prêteurs en faveur de communautés minoritaires pour lutter contre les inégalités économiques raciales. Il fait suite à Netflix, qui avait annoncé dédier cette même somme et pour les mêmes objectifs fin juin

-       La banque Citi a annoncé hier qu’elle allait dédier 1 milliard de dollars à des initiatives visant à combler le fossé racial des richesses

-       Le groupe Mars va changer le nom de sa marque Uncle Ben’s en Ben’s Original et enlever l’image d’un vieil homme Noir sur ses paquets de riz pour ne plus véhiculer de stéréotype racial

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