20 ans plus tard, bis repetita?
Qui se souvient avec précision des élections américaines de 2000, le vice-Président sortant Al Gore contre George W. Bush, le fils? Pour ma part, j’étais un peu trop jeune pour m’intéresser au système politique américain, mais je me souviens de la marionnette d’Ulysse Gosset, le journaliste de TF1, aux Guignols de l’Info, qui doit raconter son quotidien pour meubler le direct, car il n’a rien à dire. Car le précédent de l’élection 2000 est très particulier : cette année-là, les Etats-Unis ont dû attendre pendant plusieurs semaines le recompte des voix de l’Etat clé, la Floride, avant que George W. Bush ne soit nommé Président. Mais les détails méritent d’être racontés à nouveau, vous allez comprendre pourquoi.
Flashback le soir du 7 novembre 2000: la Floride, un “swing state” crucial pour chaque candidat, est rapidement attribuée à Al Gore par NBC. Mais quelques heures plus tard, les chaînes d’info se rétractent, placent l’Etat en “too close to call”, puis Fox News est le premier média à déclarer George W. Bush vainqueur sur place, ce qui lui ouvre les portes de la Maison Blanche. Al Gore concède l’élection, mais le décompte final fait ressortir un écart infime entre les candidats, à peine 900 votes sur 6 millions de bulletins. Surtout, une confusion sur le bulletin de vote, qui devait être poinçonné, aurait poussé de nombreux électeurs d’Al Gore à voter par erreur pour le candidat indépendant Ralph Nader.
Al Gore tente alors le tout pour le tout. Il rétracte sa concession, et réclame un recompte à la main des votes dans l’État de Floride en justice. Il obtient un recompte dans quatre comtés, mais avec une date butoir du 26 novembre. Seuls deux comtés y parviennent à temps et l’écart se réduit à 500 votes. Mais à ce moment, la Cour Suprême (encore elle) intervient et décide à la majorité des cinq juges conservateurs, de mettre un terme au recompte des voix. Al Gore admet sa défaite et entre dans l’Histoire comme le premier candidat à remporter le vote populaire, avec 550.000 votes de plus que son adversaire, mais pas la Présidence américaine. Une situation qui s’est depuis reproduite en 2016 avec Hillary Clinton, qui a obtenu 2,6 millions de votes de plus que Donald Trump, mais a perdu. L’incohérence du système politique américain et de ses grands électeurs…
Ce retour en arrière était un peu long, mais il me semble essentiel dans la mesure où l’élection de 2020 présente une particularité: un volume de votes à distance historique, en raison de la pandémie mais aussi d’un taux de participation qui s’annonce record. L’enjeu crucial sera donc de compter tous les bulletins de vote et de ne déclarer un vainqueur qu’une fois ce processus totalement terminé. Or, les circonstances sont très particulières: le Président sortant se refuse à déclarer qu’il concèdera l’élection s’il perd, et surtout ne cesse d’exprimer que l’élection est d’ores et déjà criblée de fraude.
Il ne fait aucun doute que Donald Trump va tenter d’occuper la place médiatique dès le 3 novembre au soir, pour se déclarer vainqueur et attaquer tout décompte ultérieur. Mais ce sont aussi les Républicains qui tentent aujourd’hui de bloquer ce processus démocratique, comme le démontre la dernière affaire de la Cour Suprême. La plus haute juridiction américaine a décidé hier d’autoriser deux Etats, la Pennsylvanie et la Caroline du Nord, à accepter les bulletins à distance jusqu’à 9 jours après l’élection, un délai auquel s’opposaient les républicains (la nouvelle juge Amy Coney Barrett s’est abstenue). Ces exemples montrent bien les méthodes contestables auxquelles se livrent les partis politiques, lorsqu’il s’agit de manipuler une élection en leur faveur. Plus que jamais, la vigilance sera de mise, le jour et soir de l’élection, mais aussi les jours suivants, pour attendre le nom du vrai prochain Président américain. Et ne pas reproduire le fiasco de l’année 2000, surtout que les Guignols ne seront plus là pour nous faire rire.
Et sinon, un pêle-mêle de l’actualité :
- Wall Street a choisi son camp : les acteurs de l’investissement et la finance ont donné 72 millions de dollars à Joe Biden pour cette élection, qui devance largement Donald Trump. Le Président n’a collecté que 18 millions de dollars auprès de cette communauté pour cette campagne, alors même que sa réforme fiscale a largement propulsé les marchés pendant son mandat
- « Anonymous », le contributeur secret qui avait écrit une tribune dans le New York Times en 2018 en qualifiant Donald Trump d’ « impétueux, antagoniste, mesquin et inefficace » a révélé son identité : il s’agit de l’ex-directeur de cabinet de la ministre de la Homeland Security, Miles Taylor. Il a depuis démissionné de son poste et a apporté son soutien à Joe Biden
- Le nombre d’entreprises créées par un Noir est revenu à son niveau pré-pandémie: il est en hausse de 2 % par rapport à février 2020, alors même que ce niveau avait chuté de 41 % en avril dernier, au cœur de la crise Covid, montrant que la communauté a payé un plus lourd tribut sanitaire mais aussi économique à la crise.