Le dernier kilomètre du marathon
Comme à mon habitude, j’ai pris un peu de temps, le temps de laisser retomber le soufflé, avant de tenter un décryptage sur le dernier débat de jeudi soir. Tout d’abord, ce face-à-face a été beaucoup – beaucoup – moins difficile à regarder. Donald Trump a totalement changé son comportement, surtout dans la première moitié de l’échange, et n’a pas interrompu son adversaire en permanence, via des provocations. Que l’on soit clair, le fond de son discours ne change pas: le Président estime avoir un très bon bilan à défendre, accuse la Chine d’avoir amené le Covid-19 et Joe Biden de n’avoir jamais rien fait comme vice-Président. Mais la forme est très différente, et après le premier débat catastrophique, il semble plus à même de délivrer son message. Mais un message qui est toujours sans concessions, et de ce point de vue, il n’a fait aucune ouverture hors de sa base.
De son côté, Joe Biden a fait le job. Ni plus, ni moins. Il a eu davantage l’opportunité de développer ses idées et a attaqué Trump sur le bilan désastreux de la pandémie, tout en cherchant à parler aux Américains avec émotion. Il a aussi eu des moments plus laborieux, comme lorsqu’il a défendu son objectif de se désengager, à terme, de l’énergie fossile. Ce qui a donné à Trump l’occasion d’attaquer sur le registre : « rappelez-vous en, Texas, Pennsylvanie, Ohio, Oklahoma », ces « swing states » si précieux à remporter. Ou encore, selon moi, quand il a soutenu qu’il fallait faire passer la sécurité sanitaire avant les réouvertures. Un argument rationnel, mais qui est aussi très difficile à entendre pour des millions d’Américains qui ne peuvent toujours pas travailler à plein temps, dans la restauration, l’hôtellerie, les loisirs etc, en raison des règles sanitaires. Après huit mois d’attente et alors que les aides fédérales au chômage sont gelées au Congrès, la pilule est difficile à avaler pour cette classe moyenne.
En réalité, Joe Biden a ancré son discours plus à gauche lors de ce débat, sur l’environnement comme sur l’économie. En tant que favori de cette course, il a profité de cette avance pour conforter ses partisans, et surtout s’assurer qu’ils iront voter le jour J. A ce stade de la compétition dans une élection 2020 si atypique, très peu d’Américains sont encore indécis mais ils doivent saisir l’importance de l’enjeu et aller au bureau de vote, ou envoyer leur bulletin. Contrairement à ce qui s’était produit en 2016.
Et les Américains ont enregistré le message et sont plus mobilisés que jamais, sur fond de Covid et du mouvement Black Lives Matter. Les chiffres sont impressionnants dans les Etats clés, où le « early vote » est disponible: samedi, plus de 257.000 électeurs ont déjà voté en Floride (contre 44.000 en 2016), 204.000 en Caroline du Nord (contre 25.000 en 2016) et 145.000 dans le Michigan (contre 7.000 il y a quatre ans)! Les citoyens sont très engagés dans cette élection, et c’est au moins la bonne nouvelle de cette échéance. Tout le défi sera d’attendre un résultat final avec un volume inédit de votes, sans laisser libre court aux théories de la fraude et de la conspiration, alimentées par le Président.
Car comme je vous l’ai déjà dit, le temps continue à jouer contre Donald Trump. Il n’a pas réussi à renverser une dynamique qui lui est défavorable lors de ce dernier débat, et n’a plus que quelques meetings dans les États déterminants pour tenter le tout pour le tout. Tout cela avec un trésor de guerre de campagne qui fond à vue d’œil : il lui reste 63 millions de dollars à fin septembre, contre 177 millions pour la campagne Biden. A ce stade de la campagne, Hillary Clinton perdait tous les jours un peu de terrain sur Donald Trump. Ce n’est toujours pas le cas pour Joe Biden : il garde 9 à 10 points d’avance au plan national, alors que l’ex-Première Dame était tombée à seulement 4 points neuf jours avant l’élection. Cette campagne 2020 est un marathon interminable en raison de la crise historique et d’une polarisation extrême. Et surtout pour Joe Biden, qui voit se profiler la ligne d’arrivée et une possible entrée à la Maison Blanche, sans pouvoir crier encore victoire. Tout le pays suit ces deux septuagénaires en plein effort, et transpire avec eux.
PS: Dernière actualité dans cette actualité très riche, plusieurs proches du vice-Président Mike Pence - dont son directeur de cabinet - ont été testés positifs au Covid. Après l’épisode de super-propagation de la nomination d’Amy Coney Barrett, ce nouvel épisode confirme que la Maison Blanche n’a jamais respecté les règles de distanciation recommandées par ses propres organismes sanitaires. Mike Pence a confirmé qu’il allait maintenir ses déplacements et interventions cette semaine. Ajoutons donc à ce marathon un sexagénaire cas contact… !