Celui qui a pris la mouche

Oui je reconnais, elle est un peu facile celle-là. Mais force est de constater qu’après avoir débattu pendant 1h30, la première chose que les spectateurs retiendront de ce face-à-face : la mouche qui est restée perchée sur la tête de Mike Pence pendant plus de 2 minutes. Des milliers d’Américains se sont bien sûr emparés de la blague sur les réseaux sociaux, avec la création du compte Twitter « FlyonMikePence ». Joe Biden lui-même a rebondi sur Twitter, en publiant une photo de lui avec une tapette à mouche à la main, et appelant les Américains à donner 5 dollars pour aider sa campagne à « s’envoler ». Voilà pour la partie intellectuelle de la soirée :)

 

Que retenir sinon de ce débat ? Un échange vif certes, mais on était bien loin des vociférations de la semaine dernière, et disons que… cela fait du bien. D’un côté, Kamala Harris est tout d’abord entrée dans l’Histoire : elle est la première femme, et la première Noire, à être nommée sur un ticket comme vice-présidente. Elle a trouvé l’opportunité de rappeler cette fierté et de mentionner sa maman, une Indienne arrivée aux États-Unis à 19 ans qui la regardait de là-haut. La procureure générale, qui a la réputation d’être une femme assez dure, a ainsi su montrer ce visage plus sensible et empathique, cher à la campagne Biden. Mais elle a été aussi très pugnace dans ses attaques envers l’administration Trump : dans un débat largement focalisé sur la pandémie notamment en raison de la contamination du Président, elle a frappé fort dès le début, en dénonçant le « plus gros échec historique » de l’exécutif face au coronavirus. Et a rappelé Mike Pence à l’ordre par deux « je suis en train de parler », très efficaces.

 

Mais elle n’est pas allée jusqu’à condamner les imprudences de Donald Trump, comme ses grands rallyes sans masque, ne voulant pas être accusée de frapper un homme affaibli. Elle ne voulait surtout pas apparaître comme agressive ou « nasty » (mauvaise), qualificatif dont Hillary Clinton avait été affublée par Donald Trump en 2016. Encore une fois, la preuve qu’une femme a une voie plus étroite entre se montrer volontaire et visionnaire, mais pas féroce… Enfin, Kamala Harris a voulu démontrer qu’elle avait abandonné ses positions les plus à gauche prises pendant la primaire et embrassé celle de Joe Biden, en tant que candidate à la vice-Présidence. Elle a ainsi clairement affirmé que sa campagne était contre l’interdiction de la fracturation hydraulique, réclamée par Bernie Sanders. Mais aussi que l’administration Biden n’augmenterait les impôts que pour les Américains gagnant plus de 400.000 dollars.

 

Ces deux arguments ne doivent rien au hasard : ils étaient les deux angles d’attaque du vice-Président Pence, pour dépeindre son adversaire comme une socialiste de gauche, gros mot dans ce pays, et qui va annuler les baisses d’impôts de son administration. De son côté, Mike Pence a eu la difficile tâche de défendre le bilan de son administration face au coronavirus, alors que son Président l’a lui-même contracté et propagé à la Maison Blanche. Il a assuré que l’administration avait pris les mesures sanitaires qui s’imposaient très tôt, ainsi que des plans d’aide à l’économie cruciaux dans cette crise majeure. Mais il a aussi accusé son adversaire de vouloir priver les Américains de libertés à ce sujet, une attaque curieuse alors même que la majorité des Américains attend un leadership sur la pandémie, et est prête à une privation de certaines libertés en raison de circonstances exceptionnelles. Enfin, la figure chrétienne la plus influente de l’Amérique nous a surtout abasourdis sur la question de l’avortement: lorsqu’il a été interrogé sur son intention d’interdire l’avortement dans l’Indiana – où il est élu - Il a fait une longue tirade élogieuse sur la juge Amy Coney Barrett et s’est réaffirmé comme « pro-life ». Cela démontre qu’entre être « pro-life » et interdire l’avortement, il y a un fossé dans l’opinion, et que l’administration Trump-Pence ne voulait pas perdre ces précieuses voix.

 

Au final, ce débat ne devrait pas beaucoup changer la donne au niveau des sondages, mais il était, de l’analyse de nombreux spécialistes politiques, le débat vice-présidentiel le plus important de l’Histoire. Et cela pour une raison simple : le prochain Président aura 74 ou 78 ans et pour l’un, sera tout juste sorti d’une contamination au virus le plus destructeur du dernier siècle. Kamala Harris ou Mike Pence savent bien qu’ils ont plus de chance que tous les précédents « VP » d’accéder un jour à la Maison Blanche, et ont eu à coeur de montrer un visage présidentiel.

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