E.Jean Carroll: quand MeToo n’a pas d’âge
Au milieu de la campagne des primaires républicaines, un verdict. Une victoire pour une femme, mais surtout pour toutes celles qui ont élevé la voix et nommé leur agresseur. La journaliste américaine E. Jean Carroll, qui avait publiquement accusé Donald Trump de viol dans une tribune en 2019, a gagné son procès en diffamation contre l’ancien Président. Le montant est astronomique : 83,3 millions de dollars, et touche l’homme au point le plus sensible, l’argent.
Cette décision est historique en termes de valeurs. Pour la première fois, ce n’est pas Donald Trump qui attaque en diffamation comme il l’a fait avec CNN, le Washington Post et le New York Times (les médias avaient couvert sa tentative de conspiration avec la Russie pour faire pencher l’élection en sa faveur). Dans ce procès, une femme a exposé publiquement l’agression sexuelle – le viol, même si l’intéressée a mis de nombreuses années à en prononcer le mot – de Donald Trump. Et lorsque ce dernier a répliqué en rabaissant l’intéressée comme il le fait habituellement, il a été puni au civil. C’est une étape cruciale, à l’aube d’une année électorale : Donald Trump vient d’apprendre à ses dépens qu’il ne peut pas tout dire, tordre la vérité et insulter pour brouiller les pistes. Cela a un mot en anglais : « accountability », prendre la responsabilité de ses actes et paroles. Et quand cela s’applique enfin à celui qui répond « Witch hunt » (chasse aux sorcières) à toute mise en cause politique ou judiciaire, ça fait du bien. L’ère du « plus c’est gros, plus ça passe » serait-elle bientôt finie ?
Cette décision est aussi une victoire savoureuse pour tous les activistes du mouvement MeToo. Une femme de 80 ans a parlé, et a été considérée comme toute aussi plausible et valorisable qu’une jeune star hollywoodienne victime de Harvey Weinstein. C’est important, à une époque où une femme qui est « past her prime age » (qui n’est plus de toute première jeunesse, en somme) est souvent réduite à un rôle mineur au rang de la société, reléguée au rôle de grand-mère disponible dans les meilleurs cas, mais qui n’a plus autant de valeur dans son individualité. L’âgisme est une réalité quotidienne aux États-Unis (en France aussi probablement), et E. Jean Carroll a entrepris cette montagne judiciaire et émotionnelle pour toutes les femmes, et au moment même où la disponibilité de leur corps – et de l’avortement - est remis en cause. « Cette victoire, plus que toute autre chose, au moment où on en avait le plus besoin – on a planté le drapeau dans le sol avec celle-ci. Les femmes ont gagné ici. Je pense que cela est de bon augure pour l’avenir ».
Cela bouleverse-t-il pour autant la campagne de Donald Trump ? Pas vraiment dans la mesure où cette affaire civile ne risquait pas de l’emmener en prison. L’amende est sévère, mais ne peut à elle seule provoquer une banqueroute du magnat américain. La fortune de Donald Trump est certes au cœur d’un des procès concernant la Trump Organization pour évasion fiscale, et nul ne sait vraiment combien elle vaut vraiment. Au final, seule une condamnation pénale peut véritablement empêcher Donald Trump d’aller au bout de sa campagne, et quatre affaires l’attendent d’ici à novembre prochain. Prison sans passer par la case départ, vous y croyez ?