Gamestop : une partie « game over » ?

Cette semaine, je voulais vous parler d’un sujet qui n’est pas directement politique, mais qui va sans aucun doute agiter la nouvelle administration Biden en charge de la régulation financière. Sauf à vivre sous une pierre depuis 10 jours, vous avez forcément entendu parler de la folie spéculative sur Gamestop, une chaîne de magasins de jeux vidéo. De prime abord, on est bien loin d’une start-up tech qui promettrait d’être le « Uber » d’un secteur à disrupter, ou qui emploie les mots magiques de big data ou blockchain. Certes, Gamestop, qui est coté en Bourse depuis 2002, profitait d’un effet buzz depuis la fin d’année dernière, lorsqu’un entrepreneur à succès actionnaire a envoyé une lettre publique au board pour les inciter à engager une revue stratégique, couper les coûts et surtout une vraie révolution e-commerce. L’objectif : en faire l’Amazon des jeux vidéo. Prometteur et vendeur, si bien que le titre a pris 50 %, autour de 20 dollars.

 

Mais la véritable frénésie est venue d’un obscur forum sur le site Reddit, appelé WallStreetBets. Un groupe de traders individuels et non professionnels qui échangent avec humour des opinions sur des valeurs cotées, et qui se sont trouvés une cause commune mi-janvier : Gamestop. Une poignée d’Internautes a ainsi appelé à acheter massivement Gamestop, notamment pour contrer des hedge funds qui avaient parié à la baisse du titre. Et ils ont créé une prophétie auto-réalisatrice : l’action a doublé en une semaine, puis l’effet boule de neige et moutonnier des marchés a fait le reste. Des milliers de petits traders se sont précipités sur le titre pour profiter de l’effet d’aubaine, il a atteint 80 dollars, puis 140, et le lendemain a clôturé à… 347 dollars.  Une hausse vertigineuse, qui n’a à aucun moment été justifié par un quelconque changement de stratégie de la part du groupe. Attirés par des captures d’écran de traders qui ont gagné des milliers – et mêmes des millions - de dollars sur un seul ordre, les traders individuels se sont rués dessus, sans calculer la vraie valeur de l’entreprise au regard de ses profits. Ni imaginer que la musique pouvait un jour s’arrêter.

 

Cette bulle a été rendu possible grâce à l’émergence d’une plateforme fintech certes révolutionnaire, Robinhood, dont l’ambition est – comme son nom l’indique – de permettre au commun des mortels d’accéder à la Bourse et d’acheter et vendre de petits montants, parfois des fractions d’actions. Un objectif très louable de démocratiser les marchés financiers, qui s’est déjà retourné contre la plateforme lorsqu’un homme de 20 ans s’est suicidé après avoir vu un solde négatif de 730.000 dollars sur son compte, à l’été dernier. Cette fois, Robinhood a été pris à son propre piège, car la plateforme n’est qu’un broker et dépend du groupe financier Citadel pour exécuter ses ordres. Pour ces raisons, pour tous les ordres qui sont passés sur Robinhood, le groupe doit mettre de côté des capitaux pour assurer les chambres de compensation, qui exécutent l’ordre, qu’il a assez de liquidité. Devant l’envolée des montants d’ordres chaque jour, sur Gamestop et quelques autres, Robinhood a dû lever en urgence 1 milliard, puis 2,4 milliards de dollars auprès de ses investisseurs (ses actionnaires) pour rester à flots. Et n’a pas eu d’autre choix que de limiter les ordres sur Gamestop pour ne pas se retrouver en défaut de liquidité. Cela n’a pas manqué de provoquer la fureur des traders impliqués, qui y ont vu la manœuvre des hedge funds et acteurs de marché pour stopper la casse.

 

Il faut dire que quelques riches et puissants hedge funds ont essuyé de sacrées pertes à cause de cette fronde des petits porteurs. Melvin Capital, un hedge fund réputé de la place, a dû lever lui aussi 2,75 milliards de dollars auprès de ses investisseurs pour éponger son erreur sur Gamestop. Mais David a-t-il gagné contre Goliath ? Rien n’est moins sûr. Le CEO de Robinhood a  été convoqué pour une audition auprès de la Chambre des Représentants le 18 février, et devra répondre des suspensions de trading sur certaines valeurs, en plein tourbillon spéculatif. Il y a fort à parier qu’Elizabeth Warren ou Bernie Sanders donneront de la voix sur le siujet dans les prochaines semaines.

 

Car la bulle Gamestop a éclaté: le titre a perdu 60 % ce mardi, et de nombreux petits porteurs se retrouvent perdants ce soir. Les hedge funds se sont renfloués facilement mais pour celui qui a misé son loyer, ce n’est pas la même donne. La saga Gamestop va en tout cas poser une question cruciale : la crédibilité des plateformes de trading individuel, et de manière générale, la confiance des particuliers envers le fonctionnement des marchés. Le Robin des Bois américain de la Bourse doit désormais démontrer qu’il peut faire gagner la masse populaire, mais cette fois en toute légalité. Une nouvelle histoire de populisme, version 2021.

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