SPAC, la pilule empoisonnée de Wall Street ?
Savez-vous ce qu’ont en commun le footballeur Colin Kaepernick, le joueur de baseball Alex Rodriguez, l’ancien astronaute Scott Kelly ou encore l’ex-porte-parole de la Chambre des Représentants, Paul Ryan ? Chacun d’entre eux a lancé l’introduction en Bourse d’un SPAC, un drôle d’acronyme qui signifie Special Purpose Acquisition Company. Créé au début des années 90, un SPAC est une coquille vide qui est créée uniquement pour entrer en Bourse et y lever de l’argent, dans le but de fusionner ensuite avec une société existante. Son autre nom est une « blank-check company », qui porte bien son nom : une structure à laquelle des investisseurs signent un « chèque en blanc », pas sur la somme mais sur l’identité du destinataire.
Pourquoi vous embêter avec cet Ovni de la Bourse, bien loin de notre quotidien à nous ? Tout simplement car le phénomène des SPAC a pris une ampleur sans précédent dans la Bourse américaine, et rien ne semble montrer que le rythme va ralentir. Quelques chiffres pour vous donner une idée : les SPAC ont levé 83 milliards de dollars en 2020, très loin devant le dernier record de 2007 qui était de… 6 milliards de dollars ! Et sur le seul mois de janvier, pas moins de 26 milliards de dollars ont été levés par ces coquilles vides, si bien que l’année 2021 devrait encore pulvériser ce record.
Une fois en Bourse, les SPAC ont un délai de deux ans pour trouver une cible avec laquelle fusionner, si bien qu’ils gardent une montagne de cash à disposition pendant de nombreux mois. A ce jour, plus de 300 SPAC sont assis sur une manne d’environ 100 milliards de dollars. Mardi, le joueur de football Colin Kaepernick, dont ce n’est pas vraiment le métier à l’origine, a annoncé avoir collecté 250 millions de dollars via un SPAC. Et le plus gros SPAC a été levé l’an passé par un gérant de hedge fund, Bill Ackman, pour la modique somme de…. 4 milliards de dollars. Une enveloppe qui n’a d’ailleurs pas encore trouvé de cible. Dans le New York Times, le financier a prononcé une phrase qui pourrait faire sourire si elle n’était pas un signe inquiétant : « tous mes amis ont un SPAC ».
Pourquoi s’en inquiéter ? Déjà, cette mode du SPAC montre à quel point la liquidité abonde sur les marchés, grâce aux largesses des banques centrales en pleine crise Covid. Si bien que les investisseurs sont prêts à placer leurs dollars sur une personnalité, et un vague projet. Autre “red flag”, ces opérations sont moins vertueuses qu’une IPO classique, la société n’est pas encore identifiée et donc n’a pas à montrer la transparence requise pour une introduction en Bourse, dans le but de ne pas induire les investisseurs en erreur. Par ailleurs, le « sponsor » d’un SPAC reçoit en général 20 % du capital de la future cible, ce qui est très généreux surtout si l’on considère qu’il n’a pas encore finalisé sa mission.
Le perdant dans cette histoire risque d’être, comme d’habitude, l’investisseur particulier, vous ou moi. Une personne non initiée qui voit le titre d’un SPAC grimper en Bourse, est tentée de l’acheter, avant même de savoir quelle sera la future société. D’un côté, ses partisans jugent que ce procédé permet à des sociétés encore trop jeunes pour la Bourse d’y entrer plus facilement, de lever de l’argent et de grandir plus vite. Mais le monde des startup est aussi celui du risque, où les fonds misent sur 10 chevaux en espérant qu’un seul deviendra cette fameuse licorne, valorisée à plusieurs milliards de dollars. La plupart des particuliers n’ont pas la connaissance financière ou sectorielle pour prendre des décisions éclairées, et jouent un jeu spéculatif dangereux avec ces SPAC.
Les chiffres sont déjà inquiétants et montrent ce décalage de traitement : selon JP Morgan, les sponsors ont engrangé un rendement moyen de 648 % sur leur mise, contre 44 % pour l’investisseur qui est entré après l’achat d’une cible. La saga Gamestop a bien démontré que les gains rapides sont souvent des illusions pour les particuliers en Bourse, alors la prudence est, plus que jamais, mère de sûreté en Bourse. Surtout que rappelons-nous, la dernière flambée de SPAC a eu lieu en pleine bulle des marchés, juste avant la crise Lehman…
Voilà un phénomène que je trouvais intéressant à décrypter sur les marchés. Et sinon côté politique, le Sénat a fini sa troisième journée d’audition dans le procès pour impeachment de Donald Trump, avec des vidéos choquantes de l’invasion du Capitole et des allocutions enflammées des avocats de chaque côté. Même si l’issue ne fait pas de doute, l’accusation veut marquer les esprits et le public, sur la personnalité de Trump. Enfin, last but not least, le Congrès continue à discuter les détails du plan de relance de 1.900 milliards de dollars de la nouvelle administration Biden. La suite et les détails dans mon prochain post !