Moneybagg Joe et ses enfants

Depuis quelques jours, les « mèmes », ces images ou vidéos virales qui tournent sur Internet, ont trouvé leur nouvelle cible aux US : Joe Biden. Le Président américain vient de signer le plan de relance historique de 1.900 milliards de dollars en fin de semaine dernière, et est montré en rappeur bling, en train de distribuer des billets avec ce nouveau surnom : « Moneybagg Joe ». Sans aucun doute, c’est la première vraie grande victoire du 46ème Président américain. Il a pu compter sur sa courte majorité démocrate au Congrès pour faire passer une loi très ambitieuse en fin de semaine dernière. Ce texte offre aussi bien des moyens pour accélérer la distribution des vaccins, des chèques directs de 1.400 dollars pour une majorité d’Américains ou encore une allocation chômage à 300 dollars par semaine.

Après les deux premiers plans de relance liés à la crise Covid (2.000 milliards de dollars en avril 2020, et 900 milliards en décembre), cette troisième loi (et la première de l’ère Biden) était attendue de pied ferme par des millions d’Américains désoeuvrés. La nouvelle administration a tenu à frapper très fort, à déployer le maximum d’argent auprès des Américains, des secteurs et des entreprises en souffrance. Se montrer à la hauteur de l’enjeu, quitte à ce que l’enveloppe soit trop ambitieuse. Un parti pris qui n’a sans surprise pas convaincu l’opposition réticente à la dépense, si bien qu’aucun républicain n’a voté en faveur de ce stimulus.

 

Mais l’autre révolution de cette loi réside à mon sens ailleurs, et n’est pas seulement liée à la pandémie. Pour la première fois en 30 ans, les États-Unis ont voté en faveur d’une subvention fédérale pour chaque enfant, des chèques en direct (et non des crédits d’impôts) qui pourront atteindre 3.600 dollars par an. Selon les estimations, cette mesure aura pour effet immédiat de réduire de moitié la pauvreté infantile dans le pays. J’ai été très surprise de lire qu’une telle politique familiale existait au 20ème siècle, jusqu’à ce que l’administration Clinton y mette fin, et ne limite ces versements aux foyers qui ont un emploi.

 

C’est à ce moment, et curieusement en pleine administration démocrate, que le pays a choisi son dogme fiscal : éviter à tout prix l’assistanat, et inciter les Américains à occuper un emploi plutôt qu’à vivre des subventions fédérales. Mais cette décision correspond aussi à une période d’expansion économique et de chômage très bas dans les années 90, où le gouvernement considérait qu’une personne pouvait sortir de la pauvreté en étant dans la vie active. Malheureusement, le tableau est bien différent aujourd’hui, les inégalités économiques se sont accentuées, les milliardaires creusent l’écart avec une classe moyenne de plus en plus appauvrie. Et la crise Covid n’a fait qu’aggraver la situation, donnant lieu à des situations aussi absurdes qu’insoutenables : alors que la fortune de Jeff Bezos, le patron d’Amazon, a bondi de 71 milliards de dollars en un an, pas moins de 11 millions d’enfants (un sur 7) vivent dans une situation de pauvreté aux États-Unis. Face à ce constat glaçant, les lignes idéologiques devaient bouger, et c’est à la faveur d’une crise mondiale que la nouvelle administration Biden a enfin franchi le pas. Cette mesure n’est votée que pour un an, mais comme tous les acquis sociaux, il sera désormais bien difficile d’en justifier le retrait, ce qui reviendrait à taxer les plus pauvres.

 

Pour Joe Biden, cette première victoire – après seulement deux mois de mandat - est majeure, car elle lance sa dynamique. Les républicains ont perdu des points en s’opposant farouchement à un texte qui était soutenu à plus de 60 % par la population américaine. Et les démocrates comptent profiter de ce « momentum » pour accélérer leur agenda, et défricher le maximum de sujets clés pendant les fameux 100 premiers jours de l’administration Biden. Le prochain thème central sera celui des infrastructures, un grand plan de dépenses et de partenariats public-privé qui pourrait cette fois s’avérer être plus bipartisan. D’un côté comme de l’autre de la sphère politique, les partis ont un objectif commun en ligne de mire :  les prochaines élections midterm de 2022.

 

L’enjeu est de taille, les élections midterm sont en général défavorables à l’administration entrante, et il ne faudrait qu’un seul sénateur et cinq députés pour que le camp républicain récupère la majorité du Congrès, condamnant Joe Biden à gouverner avec l’opposition. C’est le drame qu’a vécu Barack Obama en 2010, qui n’avait pas voté de plan de relance assez ambitieux au moment de la crise financière et n’en avait pas profité politiquement. C’est au moins l’erreur que n’aura pas reproduit son vice-Président de l’époque.

Précédent
Précédent

Avec Biden, la fin des paradis fiscaux ?

Suivant
Suivant

No justice no peace