Les oubliés du cirque médiatique
Au sein de la capitale américaine, tous les regards sont tournés vers l’audition de la juge Amy Coney Barrett. Une confirmation qui ne fait tellement pas de doute que les républicains ont déjà mis à l’agenda un vote sur sa nomination jeudi matin, à 9 heures, alors même qu’il restera encore une journée d’audition. Comme l’issue ne fait aucun suspense, les sénateurs démocrates ont préféré saisir l’occasion de cette plateforme pour parler aux Américains de l’Affordable Care Act, plus connu sous le nom d’Obamacare. Ils ont cherché à démontrer en quoi l’entrée de la juge conservatrice à la Cour Suprême risquait d’enterrer cette loi offrant une assurance maladie minimum. Tout cela avec des exemples et photos à l’appui d’Américains qui verraient leurs frais de santé s’envoler. Un sujet hautement sensible pour les électeurs, et qui peut ramener des voix au démocrates, en pleine campagne.
Mais ce cirque médiatique semble hypocrite. D’une part, car Amy Coney Barrett, qui a certes critiqué une décision de la Suprême Court sur le mandat individuel, n’a jamais indiqué qu’elle voterait contre cette loi dans sa globalité. D’autre part, l’intérêt premier des Américains a semble-t-il été mis au second plan lorsque le Sénat a décidé de mettre à l’agenda la confirmation de la juge à la Cour Suprême, avant le vote sur un plan de relance pourtant crucial. Mitch Mc Connell, le leader républicain au Sénat, savait que la Chambre Haute n’avait pas le temps de voter sur les deux dossiers avant l’élection présidentielle, et a favorisé une victoire garantie, plutôt qu’un texte de loi en discussion depuis des mois et qui n’avance pas.
Les démocrates, minoritaires au Sénat, n’ont pas eu voix au chapitre, me rétorquerez-vous. Certes, mais le camp démocrate est loin d’avoir fait tous les efforts possibles pour faire passer un texte de loi indispensable à des millions d’Américains qui n’ont plus d’allocation chômage depuis fin juillet. Pour des raisons de calcul purement politique : en raison de l’avance de Joe Biden dans les sondages, nombre de députés et sénateurs démocrates misent sur son élection, voire sur un Congrès à 100 % démocrate, si le Sénat devait basculer en « bleu » à cette occasion. Ils estiment donc qu’ils obtiendront un deal bien plus favorable dans quelques mois – à savoir un plan de dépenses plus ambitieux, proche des 2.200 milliards de dollars qu’ils réclament aujourd’hui – et jouent la montre. Nancy Pelosi s’est ainsi montrée intraitable, et a ainsi exclu tout accord sur des plans de relance sectoriels, ne se focalisant que sur un accord global où un consensus avec les républicains est à ce stade totalement illusoire.
De leur côté, les républicains ne sont pas vraiment plus éthiques. Comme souvent en politique, les législateurs républicains pensent déjà à leur prochaine échéance électorale, en 2022, voire à une éventuelle candidature à la présidentielle de 2024, pour certains d’entre eux. Or, le camp républicain a toujours été celui de l’orthodoxie budgétaire, et les intéressés ne veulent pas que les électeurs puissent pouvoir leur reprocher d’avoir voté en faveur d’un plan massif de relance, et des programmes très dispendieux, contraire à la doctrine politique de leur parti. Sans compter que Donald Trump s’est mêlé de ce débat houleux, en commençant par couper court aux négociations, puis à envisager des plans ciblés, et enfin un plan de relance encore plus large que celui des démocrates, dans le but de gagner des voix du camp adverse, à trois semaines de l’élection.
On se rend donc bien compte que le plan historique de 3.000 milliards de dollars voté par le Congrès en mai dernier est uniquement dû à un contexte lui aussi historique. Une situation économique si catastrophique en plein cœur de la pandémie, que les deux camps ont, pour une fois, oublié leurs désaccords. En attendant, les secteurs les plus sinistrés comme le voyage, la restauration, les loisirs, restent sans aucune aide. Et les plus grandes entreprises, qui arrivent à bout de leurs premières enveloppes, annoncent des plans de licenciement massifs. En ligne de mire: des banqueroutes en série, qui ne manqueront pas d’arriver dans les prochains mois. Enfin, les 30 millions d’Américains chômeurs, sous-employés ou qui ont dû quitter leur emploi pour s’occuper de leurs enfants, n’ont plus assez d’allocations pour vivre correctement. Les enjeux sont face à eux, mais obnubilés par des calculs politiques, les législateurs les ont pour le moment oubliés.
Clôturons par une nouvelle plus réjouissante: les dirigeants d’entreprises américaines semblent décidés à agir pour garantir le résultat de l’élection. Le Leadership Now Project, lancé par 50 CEO dont le fondateur de Netflix Reid Hoffman et l’ex-patronne de Yahoo, Marissa Meyer, vient de publier une déclaration de 3 principes : chaque vote sera compté, les médias doivent rester prudents et ne pas annoncer de vainqueur trop tôt, et les leaders des entreprises doivent « promouvoir la patience et la civilité entre employés, communautés et les Américains ». Que chaque leader d’industrie peut signer.