Un débat « présidentiel » ?

J’ai décidé d’attendre au moins 24 heures avant d’écrire à propos du premier débat présidentiel de mardi soir. Je voulais me laisser une journée complète, suivie d’une soirée à boire des verres en terrasse avec mon amie Vali, pour digérer un peu et tenter d’analyser de façon cohérente ce qui n’a été qu’une foire d’empoigne pendant 1h30. Ne pas céder à la sirène des mots faciles (et des insultes, clairement) car cela ne fait que servir la cause du Président, celle de dresser les gens les uns contre les autres et de créer le chaos. Et surtout, surtout : ne parler que de lui.

 

Car c’est ce qui m’a le plus sidéré de la part des commentateurs de CNN. Lorsque j’ai allumé ma télévision, les journalistes de ce média (clairement pro-démocrate) répétaient à l’envi que Joe Biden devait faire en sorte de ramener ce débat à lui, de présenter sa vision et son programme aux quelques Américains indécis, et non de laisser Donald Trump faire son show. Mais 1h30 plus tard, ces mêmes journalistes ne parlaient que de la façon dont le Président avait torpillé le débat avec ses interruptions, ses attaques, ses invectives. Tout le monde en convient, ce débat était particulièrement pénible à regarder, et je n’ose imaginer avoir été à la place de Joe Biden, ou peut-être même pire, le modérateur de Fox, Chris Wallace. Ce dernier a tant bien que mal tenté de couper court aux vociférations de Donald Trump, l’a rappelé à l’ordre à mi-débat en lui répétant les règles que sa campagne avait acceptées, mais rien n’y a fait. Tout le monde est sorti de ce pugilat avec la tête en vrac et la terrible envie d’avoir un punchingball devant soi.

 

Alors qui est sorti gagnant et qui a perdu ? Les citoyens et la démocratie américaine sont sans aucun doute les grands perdants, car personne n’a assisté à une confrontation d’idées ou de programmes. Si l’on se place du côté du Président, Donald Trump a fait du Trump pur jus, il est entré dans l’arène en n’ayant qu’un seul but : assommer son adversaire en le coupant en permanence et en l’attaquant, et le pousser à sortir de ses gonds. Il a cherché à présenter Joe Biden comme un anarchiste de gauche, vendu à Bernie Sanders et incapable de faire régner l‘ordre, et qui n’a globalement rien fait depuis 47 ans (lorsqu’il est entré au Sénat, en 1973). Il l’a aussi attaqué au plan personnel au sujet de son fils Hunter et de ses affaires en Ukraine et en Chine. A l’inverse, il s’est félicité du travail « formidable » qu’il a fait, tous les superlatifs dont il a le secret à l’appui, sur l’économie et même sur la crise Covid. Mais il a véritablement dérapé à deux reprises: lorsqu’il a refusé de déclarer officiellement qu’il accepterait le résultat de l’élection, puis DE condamner les groupes suprémacistes blancs.

 

En face, Joe Biden n’a pas tellement réussi à ramener le projecteur à lui. Au début du débat, il semblait résolu à dérouler ses idées et rester calme, mais force est d’admettre qu’il paraissait surtout vieux et mou. Après avoir eu des problèmes de bégaiement plus jeune, il met plus de temps à faire ses phrases, et n’excelle pas sur ce genre de format, d’autant que Donald Trump ne lui a laissé aucun répit dès le début. Mais au bout d’un certain temps, il s’est de plus en plus agacé, répondant aux attaques du Président. Il est enfin devenu plus véhément et audible, sans céder aux attaques personnelles contre son adversaire. Sur ce point, il a en revanche raté le coche sur le sujet pourtant brûlant des déclarations d’impôts de Donald Trump, qui viennent d’être révélées par le New York Times, lorsqu’il a été interrompu et déconcentré. Un de ses meilleurs moments reste selon moi son monologue sur le climat, où il est parvenu à parler assez longuement du sujet crucial de la lutte contre le réchauffement climatique, alors que son adversaire, peu intéressé à la question, est d’un seul coup devenu muet.

Au final, pas de vrai gagnant donc, et c’est peut-être la mauvaise nouvelle pour Donald Trump, qui est donné perdant sur les intentions de vote au plan national, mais aussi dans la plupart des « swing states ». Le Président n’a pas cherché à séduire d’éventuels indécis, qui se situeraient au centre voire des démocrates peu séduits par leur candidat. Mais au final, cela pourrait ne pas être très important, tant la part d’électeurs hésitants dans une campagne si clivante est faible cette année. Chaque Américain a semble-t-il déjà choisi son camp, à chaque candidat de les inciter à aller voter. Le débat de mardi n’y aura pas tellement contribué.

 

On aura plus de plaisir, je l’espère, à regarder le match Mike Pence-Kamala Harris le 7 octobre !

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